
Les suppressions de traversées et d’escales décidées par les transporteurs maritimes pour absorber la chute de la demande n’affectent pas tous les ports de la même façon. La situation pourrait renforcer la position concurrentielle de certains ports par rapport à d'autres en Europe, indique le consultant Sea-Intelligence.
Les annulations de services ont largement contaminé les trois grandes routes Est-Ouest qui concentrent l'immense majorité des flux maritimes réguliers – celles reliant l’Asie à l’Europe, l’Asie à l’Amérique du Nord et, dans une moindre mesure, l’Amérique du Nord à l’Europe.
Les armateurs ont, selon les lignes, retiré entre 40 et 60 % de leurs capacités et ont étendu les restrictions jusqu’à juin désormais. Le consultant danois Sea-Intelligence, qui établit chaque semaine le décompte des services qui manquent à l’appel, estime que sur la route Asie - Europe du Nord, le marché n’a pas épuisé les suppressions de rotations. La ligne connaîtra un nouveau retrait d’unités EVP de 20 % pendant sept semaines consécutives à compter de ce mois de mai, dont trois semaines à plus de 35 %. Pour l'Asie-Méditerranée et l'Asie-côte Est de l'Amérique du Sud, les services seront encore réduits de 30 % pendant quatre semaines.
100 ULCS font régulièrement escale dans 41 ports européens
C'est aussi sur la route commerciale Asie-Europe qu'opèrent les plus grandes unités, dont une centaines d’ULCS. « Ces navires font régulièrement escale dans 41 ports différents en Europe et, grâce à notre système de suivi, il a été possible de mesurer l'impact des blank sailing pour chacun d’entre eux », indique l’analyste, qui n’a pas répondu à nos demandes de précisions sur sa méthodologie.
Pour le deuxième trimestre 2020, les ports les plus touchés en Méditerranée seraient La Spezia, Tanger et Damiette, qui voient plus de 40 % de leurs escales supprimées en raison des traversées à blanc en provenance d'Asie. En Europe du Nord, Felixstowe (pur port d'entrée avec une forte orientation vers l'arrière-pays), Zeebrugge et Anvers, tous deux largement desservis par les alliances, ont le plus à perdre avec une baisse d'environ 30 % des escales de navires en provenance d'Asie. Seuls sept ports ne sont pas touchés par des traversées à blanc, mais ne sont pas mentionnés explicitement. « L’impact sera différent selon les ports. Mais la situation pourrait renforcer la position concurrentielle de certains ports par rapport à d'autres en Europe », indique encore Sea-Intelligence.
©Porteconomics
Situation stable au niveau des escales
Selon le dernier baromètre hebdomadaire de l’association internationale des ports et terminaux IAPH-WPSP du 1er mai, initié dans le but de suivre l’impact de la crise sanitaire sur 67 places portuaires, plus de la moitié des 76 répondants déclarent une situation plutôt stable de leurs escales. En revanche, la part des ports confrontés à des baisses importantes (plus de 25 %) est passée de 10 à 11 % en un semaine contre 2 à 3 % au cours des deux premières semaines d'enquête début avril. Le nombre de ports signalant des réductions de plus de 25 % est resté assez stable par rapport à la semaine dernière. Dans le conteneur, les « blank sailing ont été confirmées, mais leur nombre n'a pas augmenté », indique l’enquête.
Résilience
En 2019, selon PortEconomics, un portail de ressources sur les ports maritimes animé par des universitaires, les 15 premiers ports en Europe ont enregistré une croissance de 29 % du trafic de conteneurs entre 2007, avant la crise financière, et 2019. Trois des quinze ports avaient toutefois encaissé des flux inférieurs aux chiffres de 2007 : Gioia Tauro et les ports allemands de Hambourg et de Bremerhaven. Ces contre-performances contrastent avec celles du Pirée et de Gdansk. Le premier a vu son volume tripler entre 2007 et 2019, si bien qu’il a supplanté les ports espagnols de Valence et Algésiras pour se hisser à la 4e place. Le second a traité, en 2019, 20 fois son volume de 2007 et est entré dans le top 15 à coups de croissances impressionnantes, de plus de 23 % en 2018 et de 21,6 % en 2017. En 2019, pour la toute première fois, un port méditerranéen a rejoint les quatre premiers ports à conteneurs. Depuis le début de la conteneurisation en Europe à la fin des années 1960, le top 4 ne comprenait que des ports du range nord Hambourg-Le Havre. La plupart des ports nord-européens combinent les flux de transbordement et les cargaisons d'import/export, la part du premier dans le débit total des conteneurs se situant entre 25 et 45 %. Cela donne une indication à la fois de leur degré de vulnérabilité mais aussi de ce qu’ils ont à perdre.
Adeline Descamps
Sur la route Asie-Amérique du Nord ?
Les suppressions d’escales et de services ont touché plus tardivement la route Asie-Amérique du Nord mais les ports de la côte ouest des États-Unis n’en sont pas pour autant épargné. Pour s’adapter à la période de bas régime qu’est d’ordinaire le Nouvel An chinois, quelque 44 traversées avait été annulées entre l’Asie et le continent nord-américain. En raison de la pandémie, 123 nouvelles rotations ont été supprimées. Los Angeles est impacté à hauteur de 30 rotations jusqu'à la mi-juillet. Il y a en outre une tendance des transporteurs à employer des navires plus petits. Dans les ports de la côte ouest, les volumes de fret ont chuté de 13 % en février 2020 et de 18 % supplémentaires en mars 2020.
Sur la côte Est, 18 voyages ont été annulés en raison du Nouvel An chinois et 56 en raison de la pandémie. Même si les ports de la côte Est ont obtenu de meilleurs résultats que leurs homologues de la côte Ouest au cours des deux premiers mois, les ports de Caroline du Sud ont révisé leurs perspectives pour 2020 et 2021 en annonçant en même temps des mesures de réduction des coûts. Certains ports américains ont par ailleurs annoncé une relance par les investissements dans les infrastructures, afin de préserver les emplois dans le BTP et contribuer au soutien de l’économie du pays. Ces investissements seraient axés sur des projets dits stratégiques.