Dans un contexte inédit, le port de Marseille Fos a enregistré en 2020 un trafic en baisse de 12,7 % par rapport à l’an dernier, atterrissant à 69 Mt. Aucune filière n’échappe à la sanction si ce n’est quelques flux conjoncturels. Néanmoins, il maintient ses investissements, planifiés à 342 M€ d’ici 2024.

Il faut reconnaître au virus au moins une qualité : il a le sens de l’équité. En 2020, année blanche pour certaines économies maintenues en coma artificiel, tous les ports européens partageront le sentiment d’avoir passé une année noire. À quelques exceptions près. Pour une fois, les ports français n’auront pas à vivre l’humiliation d’un énième déclassement par rapport aux rivaux du range nord. 

Le premier port de France, tous trafics confondus, garde son statut même s’il a dévissé de 12,7 % en 2020, à 69 Mt de marchandises. C’est un manque à gagner de 10 Mt par rapport à 2019. Une performance inversée dans le sens où Marseille-Fos n’a pas pour autant vu son activité ralentir. Il a accueilli en moyenne 23 navires par jour en 2020, contre 25 en 2019 

Le port de Marseille va généraliser l'embranchement à quai d'ici 2025

Perspectives macro-économiques plombées  

Élisabeth Ayrault, qui assure en tant que vice-présidente du conseil de surveillance, le relais du président Jean-Marc Forneri, décédé brutalement le 28 décembre, s’est plongée dans les augures des grandes institutions économiques et financières. L’OCDE promet au monde une récession économique de près de 5 %. Le FMI, lui, considère que le PIB ne reviendra pas, avant fin 2022, à son retour de 2019. C’est à peu près à cet horizon que le port de Marseille devrait retrouver sa trajectoire de 2019, là où le virus l’aura figé. Trois années de pertes donc et des incertitudes à la pelle pour forer les années à venir.

« La politique d’investissement n’est pas remise en compte pour autant, indique la présidente du conseil de surveillance. Le plan est maintenu à 342 M€ d’ici 2024. On a investi 51 M€ en 2020, un niveau proche de ce que nous devions faire [les dépenses d’investissements avaient été revues en juillet à 57 M€ alors que 70 M€ auraient dû être investis sans la pandémie, NDLR].  

Une usine de fabrication de plaques de plâtre sur le port de Marseille Fos

Des baisses qui ne sont pas négatives : conteneurs et GNL 

Toutes les baisses de trafics ne se valent pas pour le GPMM. Ils ont dévissé dans l’immédiat mais restent potentiellement des trafics gros-porteurs. Le conteneur s’est affaissé de 10 % en EVP et de 9 % en tonnage en 2020 mais « la chute est modérée au regard de ses homologues européens. Barcelone est en repli de 14 % et Gênes de 11 % », se compare Élisabeth Ayrault. Le trafic s’est de surcroît maintenu avec la Chine (+1 %) et la Turquie (+ 6 %). Moins enthousiasmant en revanche est le recul marqué avec les États-Unis (- 19 %) et l’Algérie (- 25 %), pays qui a plombé de nombreux segments du port phocéen.  

La boîte pourra néanmoins compter sur des infrastructures désormais optimisées. Le GPMM a achevé son programme d’investissement de 175 M€ entamé en 2010. Les travaux de jonction sur les quais de Fos 2XL entre Port Synergy Eurofos et Seayard, démarrés au printemps 2018, ont été livrés en octobre dernier. Ladite rotule offre un deuxième poste à quai à Portsynergy Eurofos qui peut désormais accueillir des porte-conteneurs sans aucune restrictions de longueur, de largeur ou de tirant d’eau. C’est sur cet espace qu’ont été fixés les méga portiques mis en opération en fin d’année dernière par le manutentionnaire. Le linéaire aligne désormais plus de 2,5 km de quais. 

Le GNL est en repli de 15 % mais « Marseille est devenu le hub méditerranéen du GNL, l’un des trois ports mondiaux pour l’avitaillement en GNL de la flotte de CMA CGM avec Rotterdam et Singapour », indique Hervé Martel, le président du directoire du GPMM. « Nous avons réalisé en 2020 nos premières opérations en GNL en ship-to-ship. Nous sommes prêts à proposer ces services à l’ensemble de nos clients. C’est un élément de compétitivité important en 2020 que d’être parmi les quelques ports du monde qui maîtrisent les opérations de soutage et sont en situation de le proposer ».  

Hervé Martel, président du directoire de Marseille Fos : « Le défi du plan de relance, c'est de consommer vite »

Des motifs de satisfaction 

Le report modal en est un. « Nous avons réussi à reporter 15,4 % des conteneurs qui arrivent à Fos sur le fer (189 788 EVP, - 3,8 %) et 6 % sur le fleuve (64 401 EVP, - 24,1 %) », se réjouit Élisabeth Ayrault, par ailleurs à la tête de la Compagnie nationale du Rhône.  

La logistique en est un autre. « Les zones affichent 100 % complet, annonce Hervé Martel. Distriport, à proximité des terminaux de Fos, est désormais plein : 200 000 m2 seront répartis dans quatre bâtiments et livrés en 2021 ». Dans l’autre zone logistique, La Feuillane, la construction d’un second entrepôt de 90 000 m2 est également engagé par IDEC Life. « C’est important car cela permet de fixer des flux transitant par le port, des emplois et de la valeur ajoutée sur le territoire. » 

L’arlésienne Quechen  

Cela fait quatre ans au moins que le Grand port maritime de Marseille est à l’œuvre pour accueillir à Fos-sur-Mer l’industriel chinois Quechen Silicon Chemical. Leader dans son pays pour la fabrication de silice, le groupe de Wuxi avait manifesté la volonté d’implanter en Europe une usine de silice à haute dispersion (HDS), notamment pour se rapprocher de ses clients pneumaticiens, Michelin, Continental, Pirelli, qui ont déjà remplacé le noir de carbone par la silice. De l’Europe, l’industriel ne connaissait quasiment que le port de Rotterdam par lequel transitent ses produits expédiés à partir de ses usines en Chine. Après avoir étudié une petite trentaine de sites, dont Fos et Dunkerque, il s’était finalement fixé sur la Provence.

En octobre 2018, l’asiatique et le port phocéen signaient une promesse de bail pour un site de 12 ha sur les terres de Kem One. Le n° 3 mondial de la silice et le groupe chimique étaient censés mutualiser certaines utilités. Faute d’accord entre les deux industriels, le dossier s’est étiré en longueur. Mais « toutes les difficultés sont désormais levées, assure Hervé Martel. Le périmètre et le site sont arrêtés. Désormais, la balle est dans le camp de l’industriel ». La conjoncture risque de retarder le projet mais le dirigeant est confiant. Lors de la récente introduction en bourse de l’entreprise à Hong Kong, le projet de Fos a été mentionné.  

Marseille : mauvaise passe pour les vracs solides

Les segments en difficulté

Les vracs solides sont en baisse de 22 % mais les causes du mal sont plus profondes que conjoncturelles, en lien avec des transitions énergétiques. ArcelorMittal a remis en marche ses deux hauts-fourneaux à court terme et mais est engagé à moyen terme dans le verdissement de ses process industriels. Les hypothèques pesant sur le dossier Alteo sont certes levées. Le spécialiste de l'alumine de spécialité, basé à Gardanne, a trouvé son repreneur mais le process de production du guinéen United Mining Supply ne nécessite plus d'importation de bauxite, remplacé par de l’hydrate d’alumine, qui ne généreront pas autant de trafics pour le port. Ces manques à gagner fragilisent un peu plus des terminaux qui devaient déjà assimiler la fermeture de la centrale à charbon de Gardanne d’ici 2024 suite au décision du gouvernement de condamner le noir carbone. Une situation qui contraint le port à repositionner certains trafics et à renconfigurer ses terminaux dédiés.

À la peine également mais de façon cette fois conjoncturelle, le trafic passagers est en chute libre de 76 % (- 28 % sur la Corse, - 89 % pour l’Algérie et - 55 % Tunisie). Sans surprise mais plus inquiétant à court terme, « l’activité croisière n’offre aucune visibilité de reprise claire et menace les quelque 16 000 emplois que génère la filière au niveau régional », indique Chantal Helman, qui s’empresse de s’emparer d’« une bonne nouvelle » : le retour d’une ligne Marseille-Tanger grâce à La Méridionale. Il faut se saisir de tous les signaux positifs, signifie la directrice financière, après avoir égrené tous les trafics en perdition. 

Adeline Descamps 

 

Les investissements prévus pour 2021

 À l’est, les investissements seront principalement fléchés sur le pôle de transport combiné dans le secteur de Mourepiane pour accueillir des trains qui mixeront du conteneur et des caisses mobiles. Un projet qui se veut symbolique pour le territoire en ce sens qu’il permet de maintenir « l’activité économique sur les bassins Est tout en réduisant le nombre de camions qui circulent au sein de la métropole. » 

Les professionnels de la place portuaire, qui faisaient valoir il y a quelques jours leurs priorités, devront attendre. Les investissements pour lever les restrictions au dimensionnement des navires de plus de 200 m dans la partie sud du port ne figurent pas au programme des prochaines dépenses. « La configuration du port ne permet pas aujourd’hui d’accueillir les navires de plus en plus grands sur ce marché, reconnaît Hervé Martel. Il est essentiel que Marseille soit en mesure de se positionner sur certains marchés en croissance, tel le trafic de remorques qui se développe considérablement en Méditerranée ». Le GPMM a lancé en début d’année un appel à manifestation d’intérêt qui vient d’être clôturé. « On a opté pour la reconfiguration de l’existant, dans l’optique, si les trafics se développent, d’inscrire un investissement dans le prochain projet stratégique. » 

Sur les bassins ouest, le conseil de surveillance a validé le lancement du projet de zone de services portuaires sur 28 ha, qui devrait débuter fin 2021, après l’instruction du dossier administratif, pour une mise en service à l’horizon 2025. « L’enjeu est d’augmenter la capacité de l’activité de stockage des conteneurs vides et de construire un faisceau ferroviaire dédié à la fois pour cette zone portuaire mais aussi pour la zone voisine de Distriport ».  

Marseille-Fos : un différentiel de développement entre l’est et l’ouest ?