©Eric Houri

 

Le débat sur la compétitivité des ports maritimes organisé fin décembre au Sénat par la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, en présence des présidents de l'Union des ports de France, de la commission transports et mobilité de régions de France, d'Armateurs de France, et de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer​, a été quelque peu musclé sur le sujet du Brexit. En cause, beaucoup de doutes sur la capacité toute française à être prête le 30 mars en cas de « no deal ». En jeu : la primauté des ports des côtes de la Manche et de la Mer du Nord sur le trafic transmanche...

Préserver les acquis de fluidité des trafics si la Grande-Bretagne venait à sortir de l’Union Européenne sans accord. Ils en conviennent tous, c’est la priorité des priorités et c’est bien avec cet avantage compétitif qu’ils ont « arraché » la croissance du marché transmanche. Un trafic sur lequel les ports français, notamment Calais et Dunkerque sont particulièrement bien positionnés, étant au débouché du principal port britannique Douvres, via les routes maritimes les plus courtes.

Hervé Martel (président de l'Union des ports de France), Michel Neugnot (président de la commission transports et mobilité de régions de France) et Jean-Marc Roué (président d'Armateurs de France) l’ont rappelé à l’occasion d’une table ronde sur la compétitivité des ports maritimes organisée à l’initiative de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable fin décembre au Sénat. Or, ils ont beaucoup de doutes sur la capacité de l’État à mettre en œuvre les infrastructures nécessaires dans le timing imposé, soit d’ici au 30 mars 2019 quoi qu’en dise l’exécutif. Ils l’ont dit aussi au représentant de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM) Nicolas Trift, le sous-directeur des ports et du transport fluvial.

« Quand nous avons ouvert la ligne en 1986 entre Caen-Ouistreham et Portsmouth, plante Jean-Marc Roué, par ailleurs président de Brittany Ferries, il y avait 600 000 camions qui traversaient la manche en ro-ro. L’an dernier, 4,8 millions de poids lourds ont utilisé ce service. Pourquoi ? Grâce à la fluidité du système. Le commerce ne se décrète pas, il s’organise. Or sans organisation, on a un sérieux problème car la Manche française est de très loin l’organisateur de ces échanges et du business entre le Royaume-Uni et l'UE ».

« Nous avons aujourd’hui une gestion de l’entrée et sortie des poids-lourds des ports maritimes en H+20 min à peu près. Sans un système dédouanement efficace, on risque d’avoir un allongement considérable de la chaîne de traitement et ce faisant, des difficultés fortes pour la gérer, avec des risques de contournement et de détours », renchérit Michel Neugnot.

Obsession de la fluidité 

Que lire derrière cette « obsession » de la fluidité et la crainte de ne pouvoir maintenir en l’état les choses ? Un transfert de flux, en fait, au bénéfice des ports d’Anvers et de Rotterdam, que les acteurs français soupçonnent « de vouloir prendre une partie du gâteau et la plus grosse possible ». L’incroyable proposition de Bruxelles début septembre, qui semblait privilégier une desserte par les ports du Nord de l’Europe dans le cadre d’une reconfiguration du corridor maritime entre la mer du Nord et la Méditerranée pour ne pas isoler l’Irlande, les a en effet rendus vigilants et …suspicieux.

Ils peuvent craindre. « Pour un transporteur venu d’Allemagne, rouler jusqu’à Calais ou Dunkerque n’a d’intérêt que si nous pouvons continuer à offrir ce qui fait notre avantage compétitif : la fluidité et la rapidité, en cas contraire, il pourrait se tourner vers Rotterdam ou Anvers », avait déjà eu l’occasion de dire Stéphane Raison, président du directoire du port de Dunkerque, dans une autre instance.

« Les 4,8 millions de camions ne viennent pas de l’hinterland. Les plus gros volumes transportés viennent de l’Est de l’Europe et de l’Allemagne. En clair, les marchandises passent par les ports du Nord de l’Europe avant d’arriver chez nous. C’est donc doublement dangereux. Nous ne sommes pas les mieux géographiquement placés excepté que le détroit du pas de calais offre le passage le plus court », rappelle le président de Brittany Ferries, compagnie qui n’opère pas de Calais et de Dunkerque, mais dont l’activité gonfle les statistiques de nombre de ports de la façade.

La France, loin d'être prête ?

« L’État français se prépare », (r)assure Nicolas Trift. Il en veut pour preuve la nomination d’un délégué interministériel (Vincent Pourquery de Boisserin), dont la « mission est précisément de coordonner les ministères concernés de façon à accélérer les procédures et à référencer les adaptations pratiques à mettre en œuvre, territoire par territoire, port par port ». Il rappelle qu’un projet de loi habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances permettra de compresser tous les délais d’instruction de façon à obtenir rapidement les autorisations pour aménager tout ou partie du territoire.

Il mentionne des voies de circulation séparant les flux intracommunautaires de ceux des pays tiers. « On estime que le trafic en provenance de l’Irlande et transitant par le RU à 3,3 Mt et 120 000 camions. D’où la nécessité de bien séparer les flux entre ceux qui doivent passer par un contrôle douanier de ceux qui n'y sont pas soumis ». Il évoque aussi des zones de stationnement « le long des autoroutes pour les camions en cas de ralentissement occasionné par le renforcement des contrôles, et des hangars pour effectuer ces contrôles ».

Aucune mention dans le PLF 2019

« La France doit financer entre 30 et 50 % des 65 M€ qu’elle a obtenus de la CE fin septembre (dans le cadre du MIE sur une enveloppe réservée au projet de liaisons transfrontalières, NDLR) pour financer des aménagements à Brest, Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg et Dieppe. Or, dans le PLF 2019, il n’y aucune ligne à cet effet, s’étonne Michel Vaspart, sénateur des Côtes d’Armor et président du groupe d'études « Mer et littoral » au Sénat. « Comment fait-on ? S’il n’y a pas deal, le 30 mars, nous serons dans une situation difficile ».

Jean-Marc Roué est dubitatif. « Je suis très inquiet et sur les délais car c’est bien à cette date que les hommes et les équipements devront être prêts. Inutile de le faire après. Je le suis aussi sur la compression des délais car nous n’avons pas en France le système le plus rapide pour donner les autorisations à aménager tout ou partie du territoire. Or, le port est un domaine sensible. Et des citoyens n'accepteront sans doute pas de ne pas pouvoir faire des recours ».

Le représentant des armateurs pointe une autre problématique : le nombre de douaniers. Á l’occasion d’une visite à Calais pour un comité de pilotage Brexit, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin avait en effet annoncé que 700 personnels devaient être recrutés en trois ans : 250 devaient l'être en 2018, 350 en 2019, et 100 en 2020. « Le président du port de Dunkerque a annoncé récemment que les Hauts-de-France bénéficieraient de 300 douaniers, reprend Jean-Marc Roué. Qu'est-il prévu pour les deux autres régions concernées ? Fait-il penser qu’elles devront se partager 50 agents ? », interroge-t-il faussement naïf.

Grande confrontation

Quels ports seront capables de préserver les échanges outre-Manche post-Brexit ? Les places portuaires européennes se retrouvent de facto en confrontation les unes face aux autres. Jean-Marc Roué ne dit pas autre chose : « C’est l’Europe qui demande aux États membres d’organiser les passages douaniers et elle ne nous accordera pas de largesse en termes de timing. Les ports du Nord de l’Europe ne seront pas nos alliés car ils n’ont pas intérêt à ce que l’on ait toutes les autorisations. Ils ont envie d’avoir une part du gâteau et la plus grosse possible », pilonne le président d’Armateurs de France.

La crainte n’est pas complètement infondée. Dans les relations avec l’Europe, l'État membre France ne se distingue pas vraiment par un lobbying efficace. Il suffit juste de regarder les données relatives aux fonds européens pour réaliser à quel point les ports nord-européens savent exploiter les relais dont ils disposent à Bruxelles. Si les ports français ont failli être rayés de la carte des corridors revisités, il y a sans doute eu - aussi incroyable que cela soit puisse paraître – un défaut d’influence. Expression de l’incapacité toute française à faire entendre sa voix...

---A.D.---

 

 

Qu'adviendra-t-il en cas de non-accord de la reconnaissance des brevets et du droit de cabotage ?

Dans le cas d’une sortie sans accord, indique la DGTIM, les visas attestant la reconnaissance d’un brevet ou d’un certificat d’aptitude accordés par le Royaume-Uni et par les autres États membres de l’UE avant la date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne resteront valides après le 29 mars 2019 jusqu’à leur date d’expiration. À partir de la date de retrait, une procédure de demande de reconnaissance mutuelle des brevets délivrés par le Royaume-Uni devra être ouverte par les États membres de l’UE auprès de la Commission européenne. Une fois cette procédure validée, les détenteurs de brevets délivrés par le Royaume-Uni pourront se voir délivrer des visas de reconnaissance pour exercer leurs fonctions sur des navires battant pavillon des États membres de l’Union européenne.

Les navires battant pavillon britannique ne disposeront plus d’un droit de cabotage en France. L’article 257 du code des douanes dispose en effet que le cabotage en France est réservé aux navires exploités par des armateurs ressortissants d'un État membre de l’UE ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, et immatriculés dans un de ces États.

Le Royaume-Uni n’a pas adopté de réservation de trafic concernant le cabotage dans ses eaux. Les navires battant pavillon français disposeront donc toujours d’un droit de cabotage au Royaume-Uni. Néanmoins, ce droit ne sera plus garanti par le règlement (CEE) n°3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992 concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime) et pourrait dès lors être remis en cause par une future législation britannique.

Dans tous les cas : Si l'accord de retrait publié le 14 novembre 2018 est ratifié par le Royaume-Uni et l'UE, le droit européen continuera à s'appliquer de façon transitoire jusqu'au 31 décembre 2020 dans les relations avec le Royaume-Uni. Après cette date, sauf prolongation de cette période transitoire, les règles applicables seront définies dans un accord dont le contenu précis doit encore être négocié et n'est pas encore connu.